Que n'ai-je entendu cette phrase : "ah! ma soeur (ou mon frère) si seulement elle n'était pas là!" ou bien "mon petit frère, si on pouvait l'oublier quelque part... c'est toujours moi qui prends à sa place, c'est le chouchou!"...
La relation fraternelle confronte les enfants à une dualité : l'autre, frère ou soeur, est un(e) rival(e). On peut même dire un intrus. On est alors partagé entre amour et haine, affection et conflit, rivalité et pouvoir.
Non, les frères et soeurs ne s'aiment pas d'un amour absolu. La jalousie fraternelle ne se résout parfois jamais : il y en a toujours un ou une qui en a gros sur la patate! Pourquoi? Parce que les rapports entre frère et soeur oscillent toujours entre exclusion : c'est lui ou moi et identification : c'est lui et moi.
La rivalité n'est pas la jalousie. Lorsque mon petit fils de 3 ans ne veut plus manger seul et attend qu'on lui donne la becquée, il régresse : son petit frère est un rival qui prend du temps à ses parents, à ses grands-parents. Il réclame son dû. C'est une relation entre les deux enfants. En revanche, dès qu'il y a une 3ème personne : le père ou la mère, c'est le bazar : je suis jaloux de mon petit frère car mon père le préfère à moi.
En séance de thérapie, cette situation se joue souvent. Lors du premier entretien avec le ou les parents, il arrive qu'un des deux ait le petit frère ou la petite soeur sur les genoux et l'aîné pour qui les parents consultent fait un brin de comédie pour être aussi sur les genoux de sa mère, délogeant au passage l'intrus!
Chaque enfant souffre de sa place dans la famille. Lorsque l'on questionne les enfants d'une fratrie nombreuses, leurs réponses sont toujours amusantes : certains sont ravis d'être "au milieu" ... "comme la saucisse dans le hotdog" répond avec humour Pierre 10 ans!
D'autres enragent d'être à la "mauvaise place" : avant-dernier... du coup il n'y en a que pour le petit et l'aîné vit sa vie! Une grande fratrie est une véritable jungle où chacun se bat pour s'imposer.
Hélas, parfois on retrouve la même situation à l'âge adulte : rien ne s'est réglé au fil des années. On peut assister à une extrême rivalité entre deux enfants. Il y en a toujours un qui n'a pas eu son content et le réclame indéfiniment. Les sentiments de rivalité ou de jalousie peuvent être étouffés pendant des années ; la moindre étincelle ravive des braises toujours rouges. La création des liens fraternels est parfois plus charpentée dans des familles où les enfants ont été adoptés ou dans les familles recomposées. Le seul bémol est : pourvu que les parents restent ensemble ou pourvu comme le disait un de mes jeunes patients adoptés : "on ne me rende pas!"...
Le petit théâtre familial offre des représentations bien étranges et bien différentes de la vie fraternelle. L'adolescence est toujours une période à hauts risques. Frany est d'origine vietnamienne, ses parents consultent car depuis quelque temps rien ne va plus à la maison. Les discussions vont bon train avec son frère également adopté : lui défend ses parents adoptant et Frany porte au pinacle sa mère biologique sans aucun doute une mère aimante qui ne l'a pas oubliée...
Bref... que c'est difficile d'être parents face à nos petits. Il ne faut pas perdre de vue que la famille "bisounours" est un leurre et qu'il n'existe pas de famille sans violence.